Colloque international "Récits d’anticipation depuis les marges : alternatives sociales, écologies décoloniales et savoirs critiques"
Du 16 juin au 17 juin 2026
Et si les futurs les plus féconds s’inventaient depuis les marges – là où les traditions et les récits minorées réécrivent nos horizons d’attente ? Entre anticipation et spéculation, les récits d’a-venir deviennent espaces de résistance symbolique, où s’élaborent des imaginaires critiques capables de reconfigurer nos manières de penser le temps, le vivant et la communauté.
Ainsi, les récits d’anticipation - qu’il s’agisse de science-fiction, de dystopie, d’utopie, d’uchronie ou encore de futurismes autochtones - représenteraient bien plus qu’un seul exercice de projection : ils constituent de véritables laboratoires d’imaginaires, permettant d’expérimenter d’autres temporalités et d’ébranler la linéarité des récits dominants. En rompant avec l’ornière chronologique et la « logique d’inéluctabilité », ils ouvrent des voies vers des futurs possibles et nourrissent des alternatives au présent. Cette mise en jeu du temps n’est donc pas seulement esthétique : elle est politique et épistémologique. En autorisant des temporalités plurielles, circulaires ou décrochées des modèles occidentaux, les récits d’anticipation permettent d’interroger les systèmes de domination et d’explorer d’autres modalités de relation au monde.
Qui dit science-fiction, dit aussi science : les récits d’anticipation se fondent sur un socle de connaissances en partie scientifique, partagé entre l’auteur.rice et son lectorat et à partir duquel les futurs possibles ou fictifs s’élaborent. Mais la science, elle aussi, est structurée par des récits hégémoniques qui sont autant de points aveugles, sources de biais de confirmation empêchant de penser certains mondes possibles. L’épistémologie du positionnement et, plus récemment, les recherches sur les injustices épistémiques permettent d’expliciter la place des connaissances marginalisées dans la construction des connaissances légitimes. Or aujourd’hui, la crise environnementale révèle avec acuité ces tensions entre savoirs légitimes et savoirs situés. En particulier, la crise environnementale sous ses différents aspects interpelle ainsi la philosophie des sciences de l’environnement.
Dans ce contexte, les récits futuristes offrent un espace privilégié pour interroger notre rapport au vivant et à l’avenir. Alors que l’Anthropocène est souvent représenté comme une ère de désastre et de fin annoncée, les littératures et récits d’anticipation explorent également les conditions d’un présent (et d’un futur) habitable : imaginer d’autres cohabitations avec le vivant, inventer des formes narratives pour dire le bouleversement climatique, envisager l’avenir au-delà de la catastrophe. Comment créer des conditions narratives permettant d’envisager un présent « encore possible » ? Comment s’autoriser à penser au-delà de la catastrophe annoncée, en écoutant les voix qui s’élèvent en dehors du récit dominant occidental, là où se réinventent des cosmologies décoloniales et des manières plurielles d’habiter la Terre ?
Concomitamment, de nombreuses voix issues des imaginaires autochtones, des littératures diasporiques et décoloniales investissent ces dispositifs narratifs pour revisiter les histoires occultées, réactiver des cosmologies « silenciées » et restituer des savoirs ancestraux. Dans ces perspectives, l’imaginaire du futur devient une ressource pour repenser le présent, reconnecter passé et avenir, libérer des potentialités narratives et politiques et réaffirmer des savoirs ancestraux dans l’espace contemporain.
De même, le dynamisme et l’inventivité du récit d’anticipation queer et féministe participent activement à la critique d’un présent encore dominé par des codes patriarcaux et hétéronormés. La science-fiction, notamment, s’emploie à imaginer des futurs débarrassés des oppressions et des binarismes contemporains, à troubler des systèmes de normes tenus pour acquis et à prendre en compte, par la projection futuriste et/ou utopique, les aspirations des populations marginalisées. Bien loin de l’imaginaire viriliste qui l’imprégnait à ses débuts, la science-fiction ne cesse de se renouveler et d’inventer de nouveaux modes de relation inter-individuels, inter-genres, mais aussi inter-spécistes.
Le recours à la fiction comme outil de questionnement politique s’affirme de la sorte comme l’authentique déclaration d’une « guerre des imaginaires » opposant les discours politiques prépotents à des espaces alternatifs qui dessinent les confins d’une « utopie radicale ». Ce « non-lieu » idéal, accessible seulement de façon asymptotique, affirme sa force subversive dans le perpétuel voyage vers l’ailleurs de la fiction. Ainsi le récit d’anticipation se fait-il geste de résistance à la tyrannie de l’inéluctable par un double décrochement : il est simultanément critique d’une réalité dystopique traversée de storytelling, et créateur de nouveaux possibles répondant aux « vérités en puissance » de la post-politique contemporaine. La mise en scène spéculaire d’une fiction en mouvement ou d’un texte qui transite redouble cette sorte de résistance de l’imaginaire. La création actuelle ouvre toutes les potentialités de lutte contre le discours dominant au travers d’une matière fictive mouvante : des mythes anciens abreuvant la littérature contemporaine aux œuvres entretenant l’ambivalence entre réalité et fiction, jusqu’aux propositions post-réalistes explorant des réalités subjectives ou intersubjectives par le jeu de l’intertexte fictionnel. Les circulations intertextuelles et interculturelles renforcent de la sorte les dynamiques de remise en cause politique : motifs, figures et archétypes voyagent entre récits, entre langues, entre espaces géographiques, donnant lieu à des résonances multiples. Cette mise en relation révèle la vitalité des récits futuristes et leur capacité à voyager, se transformer et s’hybrider, invitant à penser les imaginaires non comme des productions isolées mais comme des réseaux en mouvement, capables de générer des alternatives symboliques et sociales.
En plaçant la marge au centre de la réflexion, ce colloque propose d’examiner la manière dont les récits d’anticipation dérangent les hégémonies narratives et font émerger, depuis des positions subalternes ou minorées, d’autres modes de connaissance, de temporalité et de résistance. Entre fins du monde et renaissances possibles, ils donnent à imaginer d’autres manières d’habiter la Terre et de se projeter collectivement. Nous invitons les contributions qui, à travers l’étude des dynamiques narratives, des appropriations culturelles et des circulations intertextuelles, explorent cette puissance de fabulation critique et la façon dont les imaginaires futuristes contribuent à la fabrique de présents habitables.
C’est dans cet esprit que nous proposons d’organiser cet appel autour de plusieurs axes de réflexion complémentaires, sans prétendre à l’exhaustivité mais en invitant au dialogue et à la traversée des disciplines :
1. Déchronologies et imaginaires du temps décentrés
- Comment les récits futuristes (anticipation, dystopie, uchronie, afrofuturisme, Indigenous futurisms, etc.) déconstruisent la linéarité du temps historique et les régimes narratifs dominants du progrès.
- Le futur comme levier critique face à l’inéluctabilité du progrès ou de la catastrophe.
- Temporalités cycliques, spirales, plurielles comme alternatives à l’idéologie du temps unique et linéaire.
2. Récits environnementaux et poétiques de l’habitabilité
- Le rôle de la science-fiction et de l’anticipation dans la représentation de l’Anthropocène, du dérèglement climatique, du vivant.
- Éco-utopies/biotopies, écologies spéculatives, solarpunk, solastalgie, collapsologie : comment la littérature et les arts explorent les conditions d’un présent/futur habitable.
- Allégories écologiques, écopoétiques et imaginaires de la cohabitation avec les non-humains.
- Éthique environnementale et philosophie politique de la crise du vivant : agir face aux perspectives dominantes.
- Intégration de perspectives minorées en science : des connaissances à la marge aux connaissances scientifiques sur l’environnement
3. Savoirs autochtones, décolonialités et voix minorées
- Comment les récits autochtones mobilisent les imaginaires du futur pour revisiter les histoires occultées et réactiver les épistémologies silenciées/invisibilisées.
- Le rôle des cosmologies non occidentales dans l’élargissement des horizons narratifs.
- Remise en question des récits impériaux et colonisateurs.
- Futurismes autochtones, Indigenous futurisms comme mouvements générateurs de mondes alternatifs.
- Science-fiction féministe et queer
4. Circulations intertextuelles, transferts culturels et hybridations décoloniales
- Dialogues entre textes, traditions et genres : comment motifs et archétypes se déplacent dans l’espace et le temps.
- Les réseaux internationaux de la science-fiction et des littératures d’anticipation.
- Comment les circulations venues des marges (traductions, adaptations, appropriations, hybridations) reconfigurent les récits globaux du futur.
Comité d’organisation
Riccardo Barontini (riccardo.barontini @ univ-pau.fr), Eneko Chipi (eneko.chipi @ hotmail.fr), Davy Desmas-Loubaresse (davy.desmas-loubaresse @ unilim.fr), Franck Miroux (franck.miroux @ univ-pau.fr), Pascale Peyraga (pascale.peyraga @ univ-pau.fr).