Journée d'étude « L'intime et le politique »

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Journée d'étude « L'intime et le politique »Amphithéâtre de la Présidence

Cette journée d'étude se propose de renouveler les perspectives sur la thématique de l'intime et du politique, les imbrications et interrelations de ces deux notions, sans restriction d'aire épistémologique, géographique ni chronologique.

 

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« Tout est-il politique? » pourrions-nous nous interroger à l'instar de Christian Ruby1. Si en mai 68 fleurissaient de tels slogans, une partie de notre société actuelle tend à diaboliser ce terme. Qu'en est-il vraiment ? Nos actes, nos pensées sont-ils régis par des considérations extérieures, intellectuelles, politiques, ou bien le fruit de mouvements intérieurs, émotionnels, intimes ? Si le questionnement est ancien, peut-être autant que la démocratie elle-même, les changements scientifiques et sociétaux actuels nous invitent à redéfinir les sphères d'implications et d'action propres à l'un comme à l'autre, ainsi les effets de leur potentielle conjonction.

Une frontière s'est lentement dessinée entre ces deux notions, que l'on pouvait déjà percevoir en filigrane dans le double mouvement que recouvrait le terme « politeia » dans la Grèce antique, à la fois individuel (au sens de droit de cité) et collectif (à la fois forme des institutions politiques de gouvernement et conditions du vivre ensemble)2.

 

Au fil des siècles, ces notions n'ont pas manqué d'évoluer, au gré des changements politiques et sociaux. Les Lumières, tout d'abord, en recentrant leurs réflexions sur l'individu. Tzetan Todorov, insiste à ce propos sur la notion de souveraineté, mais appliquée à l'individu : « la liberté de l'individu vis-à-vis de tout pouvoir étatique, légitime ou illégitime, dans les limites d'une sphère qui lui est propre ; pour l'assurer, on veille au pluralisme et à l'équilibre des différents pouvoirs »3. Une nouvelle philosophie politique qui trouve sa concrétisation lors de la Révolution française ; cette dernière semble en effet marquer une inflexion dans la relation de l'individu au pouvoir : la fin de la monarchie suppose en effet de substituer à la figure privée de la famille, construite sur le modèle du roi comme père de tous ses sujets, et commune aux monarchies européennes de l'époque, à une autre définition de l'individu, notamment de la femme, l'émancipant de l'autorité des hommes de l'espace privé autant que de la sphère politique. Sous le prisme de la famille, comme corps intermédiaire à l'articulation entre le privé et le collectif, les révolutionnaires ont été contraint de redéfinir la nation, comme espace de ces liens, facilitant l'émergence d'une sphère domestique, désormais distincte de la sphère politique4.

 

Plus proches de nous, les mouvements féminismes des années 1960, aux États-Unis et puis en Europe, ont porté pour leur part la revendication de pouvoir penser l'intime comme relevant de la sphère du politique, obligeant ainsi à réinventer la frontière entre les deux.

Le philosophe Michaël Fœssel, quant à lui, repense la nécessité d'une frontière plus visible, mieux marquée dans son ouvrage La privation de l'intime5. A ce sujet, Magali Bessone analyse « Au contraire, pris dans sa spécificité, l’intime nous permet de penser une autre approche du politique — selon une double dimension. »6

 

D'autres espaces émergent encore, où l'intime se doit d'être redéfini, et protégé . Si, par exemple, les réseaux sociaux, « espaces tiers entre le privé et le public »7 et les nouvelles technologies sont un formidable outil de communication, il n'en demeure pas moins qu'ils modifient sans cesse notre perception de la réalité. L'une des conséquences majeures de l'utilisation massive de ces outils est l'accentuation de la porosité de la frontière entre vie privée et vie sociale, et une permanente ré-élaboration de leurs interactions. Il en va de même dans des situations de profonde vulnérabilité, comme en cas de maladie -charte du patient à l'hôpital-, ou également dans l'espace professionnel8 -le congé menstruation : intime ou politique?

 

Par ailleurs, du fait même de la porosité de cette frontière, on peut également penser l'intime comme moyen de politisation9 (proches, conjoints, enfants...), y voir parfois les racines d'une militance culturelle ou politique, voire d'utopies10. Et si l'on pousse l'intime jusqu'aux pensées, à ce qui structure notre intériorité, ce dernier peut se décliner sous la forme de nos imaginaires, dans ce qu'ils ont personnel, certes, mais également de culturellement et socialement construits. Ainsi peut-on tenter de penser aussi l'intime de l'autre, l'imaginaire colonial, les relations entre intime et spiritualité...

 

 

Cette Journée d'Etudes n'est autre qu'une invitation à nous pencher sur les questionnements suivants : l'intime est-il habité11, incarné12, le politique est-il tissé d'intime, dans quelle mesure l'intime est-il lui aussi dessiné, pré-formaté par le politique ?... Autant de réflexions à repenser pour aujourd'hui, à partir d'approches différentes ou plurielles, philosophiques, littéraires, sociologiques, historiques, etc., voire afin de renouveler des études plus anciennes (l'honneur dans les drames du théâtre du siècle d'or espagnol, intime ou politique ?)

 

 

NOTA BENE :

Les communications présentées lors de cette Journée d’Études seront offertes en hommage à Jean Ortiz, collègue décédé en juillet dernier, qui a pleinement contribué, par ses recherches d'une part sur les révolutions en Amérique latine au XXe siècle, d'autre part sur les guerrilleros espagnols en France, par ses colloques et ses publications, au rayonnement du Laboratoire de recherche EA 1925, englobé depuis dans ALTER. Les communications de cette Journée d'Etudes feront l'objet d'une publication, également prise en charge par ALTER, et dont la sortie est prévue en fin d'année 2024. C'est pourquoi les communications sont attendues pour le 02/09/2024 au plus tard.

 

La Journée d’Études se tiendra à l'Amphithéâtre de la Présidence, se déroulera de 09h00 à 18h00, et comptera de 6 à 8 interventions, dont plusieurs d'invité.e.s extérieur.e.s.

Ont d'ores et déjà accepté de participer, en tant qu'invités extérieurs : Jean Fabbri, ancien Maître de Conférences de l'Université de Tours, Sebastián Agudo de l'université de Lérida (Espagne) et Geneviève Dreyffus-Armand, historienne. D'autres collègues de l'UPPA, ont également annoncé leur participation. Pour ma part, j'y apporterai aussi ma contribution. D'autres encore sont en attente de réponse définitive.

 

Par ailleurs, la Journée explorera la thématique au-delà des mots, via la musique. En effet, Tomas Jimenez, Comunero, (guitarre et chant) et par Manuel Rodriguez (guitariste flamenco), tous deux particulièrement concernés par cette imbrication d'intime et de politique, en livreront une preuve par l'essence vitale de leur art, et les sens.

 

Le public attendu pour cette Journée d’Études est un public en partie universitaire, enseignants-chercheurs et étudiants. Cependant, eu égard à la capacité de convocation de la personnalité publique à qui est rendu hommage lors de cette manifestation scientifique, une ouverture plus large s'avère d'ores et déjà plus que plausible.

1 RUBY Christian, « V / Tout est-il politique ? », dans : Christian Ruby éd., Introduction aux philosophies de la politique. Paris, La Découverte, « Repères », 2021, p. 89-110. URL : https://www.cairn.info/introduction-aux-philosophies-de-la-politique—9782348068935-page-89.htm, consulté le 05/07/2024

 

2BORDES Jacqueline, Politeia dans la pensée grecque jusqu’à Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 1982.

Citée dans Repenser le politique en Grèce ancienne, Vincent Azoulay. Dans Annales. Histoire, Sciences SocialesAnnales. Histoire, Sciences Sociales 2014/3 (69e année)2014/3 (69e année), pages 605 à 626, Éditions Éditions de l'EHESS

 

3TODOROV, Tzvetan, « L’esprit des Lumières », [en ligne], Les Essentiels BNF, https://essentiels.bnf.fr/fr/histoire/temps-modernes/6f03982a-6595-42a5-883c-b30a9b6f0857-esprit-lumieres/article/98c2b1d8-cb25-4a8d-97ec-1f83dabc4ca6-esprit-lumieres

Consulté le 19/03/2024

 

4HEUER Jennifer, VERJUS Anne, « L’invention de la sphère domestique au sortir de la révolution », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 327 | janvier-mars 2002, mis en ligne le 19 mars 2008, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ahrf/543 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ahrf.543

 

5FOESSEL Michaël, La privation de l’intime, mises en scène politiques des sentiments, Paris, Éditions du Seuil, 2008, 157 p.

 

6BESSONE Magali, L’intime, un concept politique, recension publiée en ligne dans laviedesidees.fr, le 17 juillet 2009.

 

7BERREBI-HOFFMANN Isabelle, SAINT-MARTIN Arnaud (Coord.), Dynamiques de l'intime, Revue Socio

 

8 BERREBI-HOFFMANN, Isabelle, « Les métamorphoses de l'intime », dans Repenser les relations entre le public et le privé au travail. Dans Empan 2010/1 (n° 77), pages 13 à 17 Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2010 https://doi.org/10.3917/empa.077.0013

 

9MUXEL Anne, « La politisation par l’intime. Parler politique avec ses proches », dans Revue française de science politique 2015/4 (Vol. 65), pages 541 à 562.

https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2015-4-page-541.htm

 

10BERREBI-HOFFMANN Isabelle, Politiques de l'intime: des utopies sociales d'hier aux mondes du travail d'aujourd'hui, - 2016

 

11VIDAL-NAQUET Clémentine, « Habité, l’intime ? », dans Sensibilités 2019/1 (N° 6), pages 6 à 9

https://www.cairn.info/revue-sensibilites-2019-1-page-6.htm

 

12FROIDEVAUX-METTERIE, Camille, Littératures incarnées : l'intime est politique, dans Sciences Humaines N° 364 - Décembre 2023 - Janvier 2024