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Journée d'études "Langues de terre et paroles d’eau"Appel à communications

 

« Être dans le monde signifie se trouver dans l’impossibilité de ne pas partager l’espace ambiant avec d’autres formes de vie, de ne pas être exposé à la vie des autres. Comme nous l’avons vu, le monde est par définition la vie des autres : l’ensemble des autres vivants. Le mystère qui doit être expliqué est donc celui de l’inclusion de tous dans un même monde, et non l’exclusion d’autres vivants ».

Emanuele Coccia, La vie des plantes, une métaphysique du mélange, Paris, Payot, Col. Rivages, 2016, p. 61

 

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Argumentaire

La présente journée d’étude souhaite appréhender l’une des façons spécifiques dont les arts (littérature, arts visuels et plastiques, cinéma…) nous aident à réagir face la crise écologique de l’ère anthropocène : il s’agit du courant qui en sonde les origines et s’accorde à la pensée contemporaine qui reconsidère nos « manières d’être vivants » – pour citer le philosophe Baptiste Morizot[1] –, davantage qu’il ne met en question les conséquences néfastes de l’action de l’homme sur la planète, que ce soit pour les dénoncer ou les réparer.

De fait, nous n’explorerons pas les formes d’art revendicatrices, orientées vers la réhabilitation des sites dégradés (tels le « Art as/and Land Reclamation » de Robert Morris, 1980), pas plus que les narrations dystopiques et apocalyptiques (Tetsumi Kudo), les réalisations artistiques visant à sensibiliser le public face aux désastres climatiques, à l’érosion de la biodiversité, à la destruction des écosystèmes – la conscience critique du duo artistique Art Orienté Objet, l’artiviste d’un Vincent J.F. Huang (Taïwan, 1971) voire celui d’un Julian Charrière (Suisse, 1987) – ou encore aux mutations du vivant sous les effets de la pollution – Midway : Message from the Gyre (2009) de Chris Jordan ou Malamp (2019) de Brandon Ballengée, pour ne citer qu’eux.

Nous ne privilégierons pas non plus les perspectives d’un art écologique réparateur, par lequel l’humain viendrait panser les plaies de la terre, que ce soit de façon symbolique – Lucía Loren avec Coser la cima (2009) ou Ruth Montiel avec As cinsas do lamento (2012) – ou par des actions plus concrètes, telle celle menée par Patricia Johanson dans les années 80 avec le Fair Park Lagoon de Dallas (1978-1981).

Cette journée d’étude s’attachera plutôt aux alternatives apportées à l’anthropocentrisme par les arts et les littératures, à travers d’autres voies d’être au monde qui ne cherchent pas à représenter la nature, à la protéger ou à la défendre, et qui incitent davantage, à l’image de l’écologie elle-même, à des mutations systémiques radicales orientées vers une révolution culturelle profonde.

S’interroger, à la suite de Bruno Latour, sur « l’impact de la nouvelle situation cosmologique sur les propositions artistiques contemporaines[2] » et, partant, sur ce que l’art peut faire face à cette crise systémique, sera l’objet de notre réflexion. Comment l’esthétique et les arts sont-ils utilisés de nos jours pour transformer nos imaginaires et insuffler des modifications dans nos relations au vivant ? Les arts peuvent-ils nous rendre sensibles à des voix, des acteurs ou des phénomènes qui n’éveillent pas notre attention et ne bénéficient pas d’une véritable écoute sensible, qu’il s’agisse de la vie des plantes et des forêts, des ruisseaux, des fleuves et des océans, ou encore des vers de terres et des araignées, tout ce qui constitue, en fin de compte, l’ensemble d’un écosystème dynamique ? Car c’est bien la question du sensible qui mérite d’être observée dans les arts et les littératures, si l’on considère leur capacité à dépasser la hiérarchie topologique régnant dans le cosmos et à influer sur nos représentations grâce aux liens de proximité qu’ils entretiennent avec les lecteurs ou les spectateurs.

Deux aspects spécifiques, le vivant et le sensible, envisagés selon deux modalités, l’amplification et le décentrement, apparaissent comme des leviers dignes d’être activés par les arts pour faire naître des résonances, éveiller des consciences, tirer de l’indifférence ou du silence.

Si l’on doit en effet – dans la continuité d’Estelle Zhong Mengual[3] –, concevoir la crise écologique comme une crise de la sensibilité, et l’art comme un objet de conciliation et de « réconciliation [4] », c’est le mouvement qui déplace notre regard sur le monde, nous plonge en immersion dans la nature – et non pas à côté d’elle – pour inviter à un nouveau rapport au sensible, qu’il nous importe d’examiner dans les arts. Comment la création artistique peut-elle, à travers une multiplicité de médiums sollicitant la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat et même le goût, nourrir de nouvelles représentations, de nouveaux imaginaires du vivant et, plus concrètement, comment peut-elle modifier notre disponibilité au monde vivant ?

Dans les années 70 déjà, en Australie, la musique aborigène d’Earth message – le documentaire de Corinne et Arthur Cantrill –, unissait divers aspects de la flore et de la faune du bush, dans une chorégraphie de caméra soigneusement composée. Plus récemment, c’est un voyage sonore en plein air que la chorégraphe suisse Lea Moro organisait avec Ears to see (novembre-décembre 2022), proposant une série de rencontres avec des êtres vivants et engageant le public à une coexistence responsable et coopérative avec notre environnement par l'écoute.

Manifestement, l’émancipation des formes que connaît l’art contemporain accroît son aptitude à prendre en charge ces défis. Pensons par exemple à l’exposition collective Le chant des forêts, dernièrement commissariée par Lauranne Germond[5] : une traversée sensible, visuelle et sonore au cœur des bois, qui invite à « s’enforester » au plus profond des écosystèmes vivants de la forêt, depuis les racines jusqu’à la canopée, de l’Europe à l’Amérique latine. Comme une polyphonie, Le Chant des Forêts donne à entendre les voix de la forêt qui parlent, chantent et enchantent, celles des vivants qui la composent et la décomposent, celles des rites et des cultes qui la traversent depuis la nuit des temps, mais aussi celles des humains qui l’habitent et luttent pour les protéger.  Nous étudierons de semblables formes artistiques qui facilitent notre immersion en sollicitant les formes du sensible, dans lesquelles nous ne sentons pas avec une seule partie de notre corps mais avec la totalité de notre être, et où les oreilles, le nez et le toucher sont convoqués au même titre que les yeux, où contemplation et action se complètent et s’amalgament. 

Bien entendu, cet élargissement des émotions, des imaginaires et des savoirs implique aussi, de plus en plus fréquemment, une conception de la nature qui outrepasse le seul rôle d’objet d’inspiration et lui confère un statut de partenaire intime dans l’invention et la création de formes.

Ainsi peut-on observer les arts effectuer des changements de focalisation qui entraînent des révolutions du regard – dans le sens littéral du terme –, pour donner un protagonisme spécifique –  une vision ou une parole propre – aux éléments naturels, qu’ils fassent partie du monde animal, minéral ou végétal. C’est le cas du roman d’Edmundo Paz Soldán, La mirada de las plantas (2022), ou de l’exposition de la Mexicaine Daniela Ramírez, Una luz animal ronda la superficie (Mexico, avril-mai 2022), qui exploite différents médias tels que la peinture et la sculpture pour reconfigurer les récits dominants sur les espèces qu’elle étudie, à savoir des plantes qui ont subi des processus de domestication et d’autres dites « invasives ».

Autant de voies d’« enrichissement imaginaire, symbolique, et cognitif de notre rapport à la nature[6] », permettant de voir le monde à travers les yeux d’autres êtres, mais aussi de relativiser la place occupée par l’homme dans les écosystèmes, afin de rappeler qu’il n’est qu’un des maillons dans la chaîne du vivant : l’on ne manquera pas d’évoquer les œuvres éphémères du Britannique Andy Goldsworthy ou les séquences vidéo de l’Américain Sam Easterson – capturées du point de vue des animaux et des plantes – avant de constater, dans un autre domaine d’application, l’investissement du champ littéraire par la pensée philosophique de l’éthologue Vinciane Despret. Révélant l’influence de la sensibilité écologique sur la création et la potentialité du vecteur artistique pour reconnecter l’homme avec la nature, la philosophe belge nous invite à son tour à nous décentrer collectivement pour affronter la perspective d’un futur dégradé. Mieux encore, elle emprunte la trace d’écrivains, d’artistes, d’anthropologues – tel Hugh Raffles avec son Insectopédie (2010) –, de philosophes – Étienne Souriau et Michel Serres en particulier –, pour reconnaître dans la nature des modalités de communication sophistiquées, qui recèlent parfois des modes expressifs esthétiques[7] : tel est le cas des projets artistiques de l’Argentin Tomás Saraceno, qui tire parti de l’intelligence vibratoire des arachnides et dévoile le potentiel musical et pictural des toiles d’araignées ; et il en va de même avec les récits inspirants d’Ursula K. Le Guin qui imagine, dans la nouvelle L’Auteur des graines d’acacia (1974), des pamphlets phéromoniques dont les auteurs sont des fourmis. Reconnaissant à la fiction cette capacité à susciter en nous de la curiosité à l’égard des espèces avec lesquelles nous cohabitons, Vinciane Despret emboîte résolument le pas de l’auteure de science-fiction américaine et elle fait elle-même s’exprimer, dans ses romans d’anticipation tels que L’Autobiographie d’un poulpe (2021), des thérolinguistes, à savoir des spécialistes des langages animaux, dans une aventure textuelle à la croisée de la science et de la fiction, de l’écologie et de la poésie. Ainsi la science-fiction – qui est ici fiction philosophique – permettrait-elle d’imaginer et d’expérimenter ce que le monde pourrait devenir, en éprouvant de nouvelles alliances avec d’autres formes de vie, conduisant en cela vers des « possibles insurrectionnels[8] ».

Il va sans dire que cette reconnaissance de paradigmes nés de l’activité du non humain – et repris comme formes artistiques –, outrepasse le strict champ des arts et des fictions littéraires : de même que la science-fiction prend à son compte la potentialité artistique des espèces non-humaines, du minéral et du végétal, de même le design explore et utilise à des fins pratiques les intelligences et les modes communicationnels de la faune et de la flore. La façon dont la nature influence la création, mise en relation avec les nouvelles technologies et les sciences, trouve en effet un terrain d’application privilégié dans l’écodesign et la biofabrication, par de nouveaux protocoles de conception inspirés du monde vivant : l’exploitation biomimétique des algues et des mycéliums de champignons – par Neri Oxman (Totem, 2008) ou par le Studio Klarenbeek & Dros (Mycelium chair, 2018-2019) notamment –, revivifie nos relations avec le vivant et invite à imaginer d’autres manières d’habiter le monde.

Sortir d’une relation unilatérale, conjoindre les mouvements et les perspectives permettrait de multiplier les échanges, et aiderait à penser l’atmosphère comme un espace de circulation où se croisent et s’entremêlent des mouvements menant des vivants à l’environnement et de l’environnement à l’ensemble des vivants, humains et non humains. C’est pour approfondir cette optique que nous proposons d’étudier les œuvres incitant à une réévaluation ontologique du vivant, la quête d’une rationalité non humaine (au cœur des dernières séries photographiques de Sebastião Salgado) et qui, présentant les comportements végétaux et animaux comme le résultat de mécanismes complexes, invitent à repenser l’agentivité du vivant et, ce faisant, notre propre agentivité. Toutes ces alliances entre espèces qui permettent de s’extraire d’une logique où les animaux et les plantes sont au service de l’espèce humaine. 

Enfin, ne peuvent être écartés de cette mutation épistémologique deux acteurs marginalisés par l’anthropocentrisme, eux aussi engagés dans la construction future d’un nouvel état de symbiosité[9]. Renoncer à la hiérarchie entre les diverses formes du vivant suppose également de renoncer à celles du genre, art écologique, humanités environnementales et écoféminisme étant en cela étroitement liés. Nous nous intéresserons donc à d’autres formes de décentrements venant contester le regard de l’homme, maître et possesseur de la nature, à travers les expressions artistiques et littéraires de l’écoféminisme, notamment celles privilégiant les relations éthiques d’attention et de soin du vivant, mais aussi à travers les créations – artistiques et poétiques – portées par les populations autochtones colonisées qui, aujourd’hui, revendiquent à la fois la restitution de terres ancestrales spoliées et le retour à une relation harmonieuse avec la nature, respectueuse de la terre mère.

Vous trouverez ci-dessous quelques pistes et questionnements pouvant être approfondis à l’occasion de cette journée d’étude :

  • Les dispositifs littéraires, cinématographiques et artistiques visant à enrichir notre relation à la nature et au vivant, à complexifier notre sensibilité.
  • Les processus de décentrement remettant en question – par les arts écologiques, les humanités environnementales, par les voix de l’écoféminisme et des populations autochtones – l’anthropocentrisme dominant.
  • Les créations variées qui imaginent, reconnaissent ou répliquent, par bio-mimétisme par exemple, des modes d’expressions ou des formes systémiques propres aux mondes animal, végétal, minéral, et les utilisent comme des formes de création artistique (en littérature, en science-fiction, dans les arts visuels et plastiques, en design…).

 

  • Qu’est-ce que les arts peuvent faire advenir dans notre sensibilité et dans nos relations effectives au vivant ? Dans quelle mesure les expériences éco-sensibles peuvent-elles élargir nos panels émotionnels et sensitifs, et rompre avec la représentation inanimée de la Nature ?
  • Dans quelle mesure les alliances avec d’autres formes de vie dessinent-elles des possibles insurrectionnels ?
  • Au-delà de leur visée éthique (conduire à un travail des humains sur eux-mêmes et sur leurs représentations), ces productions artistiques impliquent-elles une redéfinition des arts ?

 

Informations générales

La journée d’étude Langues de terre et paroles d’eau sera organisée en mode hybride sur le campus de Pau (Université de Pau et des Pays de l’Adour).

L’atelier créatif « Fructomancies », organisé par la chercheuse et artiste Yunuen Díaz (Universidad Autónoma del Estado de Morelos, Mexique) viendra enrichir la journée d’étude. « Fructomancies » ou comment combiner lectures de textes écoféministes et exercices créatifs pour développer des récits sur l'avenir liés au soin de la terre. La souveraineté alimentaire, la sauvegarde des semences indigènes et le soin de la terre seront des composantes fondamentales de l’atelier.

Le domaine d’étude embrassera aussi bien les productions littéraires qu’artistiques des sphères géographiques et linguistiques francophones, anglophones, hispaniques, lusophones et germaniques, le laboratoire ALTER étant pluridisciplinaire.

Les interventions se feront en français.

Contacts organisatrices :  Christelle Colin (christelle.colin @ univ-pau.fr) et Pascale Peyraga (pascale.peyraga@univ-pau.fr (pascale.Peyraga @ univ-pau.fr)).

 

Comité organisateur

  • Christelle Colin (Cinéma espagnol, ALTER, UPPA)
  • Yunuen Esmeralda Díaz Velázquez (Image, Art, Culture et Société, Écopoétique et écoféminisme, UAEM, Mexique)
  • Pascale Peyraga (Espagne contemporaine - Littérature/Arts visuels, ALTER, UPPA)

 

[1] Baptiste Morizot, Manières d'être vivant : Enquêtes sur la vie à travers nous, Paris, Actes Sud, Nature Mondes sauvages, 2020.

[2] Extrait de la conférence prononcée par Bruno Latour lors de la rencontre « Ce que les arts nous disent de la transformation du monde », Bordeaux, octobre 2020.

[3] Estelle Zhong, « N° 84 | Que peut l’art face à la crise écologique ? », Arts et Sociétés, [en ligne]. URL : https://www.sciencespo.fr/artsetsocietes/fr/archives/106.

[4] À l’instar d’une « écologie de la réconciliation », telle que l’a définie Michael Rosenzweig avant de développer et de populariser ce concept. Michael L. Rosenzweig, « Reconciliation ecology and the future of species diversity », Oryx, vol. 37, no 2, avril 2003, p. 194‑205. URL : <https://www.cambridge.org/core/product/identifier/S0030605303000371/type/journal_article>.

[5] Exposition Le chant des forêts, MAIF social club, Paris, du 1er octobre 2022 au 22 juillet 2023.

Lauranne Germond est commissaire d’exposition et co-fondatrice de COAL, Art et Développement Durable.

[6] Estelle Zhong, op. cit.

[7] Nastasia Hadjadji, « Vinciane Despret : faut-il apprendre à penser comme un poulpe ? », L’ADN, 1 décembre 2021 [en ligne]. URL : <https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/vinciane-despret-philosophe-animaux/>. Consulté le 15 janvier 2023.

[8] Ibid.

[9] En référence au concept de Symbiocène que Gleen Albrecht appelle de ces vœux dans son ouvrage Les émotions de la Terre - Des nouveaux mots pour un nouveau monde (2020), et qui rétablirait les liens symbiotiques rompus lors de l’Anthropocène, de façon à intégrer, à tout échelon et de façon harmonieuse, les systèmes humains dans les systèmes biogéochimiques.    

 

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