« Pirate des mots, du langage » La langue de Régis Jauffret

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Directrice : Hélène LAPLACE-CLAVERIE

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Laboratoire ALTER

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64013 Pau cedex

 

Journée d'études : « Pirate des mots, du langage » La langue de Régis Jauffret

Université de Paris-Sorbonne

Université de Pau et des Pays de l'Adour

 

Ce colloque a pour objectif de poursuivre les investigations du matériau langagier, dans ses réalisations et ses spécificités littéraires les plus contemporaines, avec l’œuvre de Régis Jauffret, qui a retenu notre attention dans la continuité des réflexions menées sur « la langue » de Sylvie Germain (EUD, 2010), sur celles de Laurent Mauvignier (EUD, 2012), d’Éric Chevillard (EUD, 2013), de Jean Rouaud (EUD, 2015), de Maylis de Kerangal (EUD, 2017), de Marie Darrieussecq (EUD, 2019).

 

Reconnu par la critique notamment à partir d’Histoires d’amour (éd. Verticales, 1998), Régis Jauffret est confirmé dans le paysage littéraire contemporain entre autres par le Prix Décembre pour Univers, univers (éd. Verticales, 2003), le Prix Femina pour Asile de fous (Gallimard, 2005) ou encore le Prix Goncourt de la Nouvelle pour ses Microfictions (2018). Publié par de nombreux éditeurs (Denoël, Gallimard, Julliard, éd. Verticales, Gallimard, Le Seuil), il est aujourd’hui l’auteur d’une quinzaine de romans et récits, d’une dizaine de recueils de nouvelles ainsi que d’une pièce de théâtre, Les Gouttes (1985). La variété de son écriture se retrouve aussi dans la manière dont, pour tisser ses récits, il s’empare d’évènements tels que ceux de l’affaire Édouard Stern dans Sévère (Le Seuil, 2010), de l’affaire Fritzl dans Claustria (Le Seuil, 2012) et de l’affaire DSK dans La Ballade de Rickers Island (Le Seuil, 2014). Son dernier récit, Papa, (Le Seuil, 2020) rompt avec cette veine mordante, cynique, et renouvelle ce travail de fictionnalisation du réel depuis une approche autobiographique.

 

Les textes de Régis Jauffret paraissent néanmoins appartenir tous à la catégorie de la « littérature déconcertante », pour reprendre l’expression de Dominique Viart[1]. Tous mettent en œuvre, chacun à sa manière, une écriture des dissonances. Par exemple, au degré du détail de l’écriture, les tirets cadratins ouvrent à l’intrusion d’une voix qui ponctue le récit de manière souvent grinçante ; de même, l’incertitude du sujet discursif, poussée parfois à la démultiplication onomastique, souligne les désaccords de la fiction ; le flottement des repères temporels participe aussi de la confusion énonciative, jusqu’à l’inconfort du lecteur ; le goût pour les formes du conditionnel alimente également le doute dans l’expression du procès ; la discordance de l’ironie lézarde encore un peu plus la stabilité du récit ; la phrase, elle aussi, est mise sous tension par des oscillations entre une syntaxe cohésive, maîtrisée, et des ajouts digressifs, loufoques, aporétiques ; sur un plan rhétorique, les comparaisons et les métaphores prennent régulièrement une image incongrue comme repère ; et le décalage est encore celui des effets comiques qui naissent de la noirceur humaine, et la tiennent à bonne distance...

À une plus grande échelle, l’ensemble des publications de l’auteur paraît jouer d’une disparité comparable, ou bien entre des textes brefs comme des nouvelles (Fragments de la vie des gens) et d’autres plus longs où le temps s’étire (Univers, univers), ou bien au sein même de publications qui réunissent un nombre conséquent de textes courts sous l’intitulé unique de « roman », comme c’est le cas des Microfictions, au point de mettre en difficulté le classement de ces récits.

Enfin, dans cette perspective générique, ces dissonances, le questionnement des codes du récit qu’elles impliquent, fragilisent le pacte fictionnel et en cela alimentent l’indécidable de son articulation entre réalité et fiction – La Ballade de Rikers Island s’ouvre sur cette formule : « Le roman, c’est la réalité augmentée. » C’est là un autre trait propre à accorder aux textes jauffretiens une place différente, sinon divergente, dans la littérature contemporaine.

 

Toutes ces discordances représentent notre monde contemporain « comme un vaste enfer[2] » et forment ce que Bruno Vercier et Dominique Viart ont appelé une « poétique du malaise[3] ». Or, lorsqu’il est interrogé au sujet du télescopage des extrêmes multiplement perceptible dans son écriture, Régis Jauffret renvoie au travail de la langue française, une langue telle qu’elle « oblige à la maîtriser parfaitement avant d’en tirer un moindre son[4] ». D’ailleurs, dans l’un des reflets que Microfictions offre à la pratique scripturale, l’écrivain se voit défini par son rapport au matériau langagier.

 

  • Je suis devenu écrivain. Pitre.

Pirate des mots, du langage. Margoulin de l’angoisse, du suicide, de l’anarchie facile, de ceux qui restent à la maison. Je me promène dans des livres écrits au conditionnel, au futur. Mode et temps de ceux qui jamais ne s’engagent, dans une guerre, une révolution. Je suis fait de papier, d’un peu d’encre. Je ne fais pas partie des martyrs, qui pour le Christ, se sont jetés souriants, au milieu des lions et des tigres. Le courage me manque, je me cache. Dans les fossés de la syntaxe. Derrière la fumée artificielle, des métaphores, des escroqueries. Je prends mes jambes à mon cou. Pauvre lâche. Derrière la fumée des romans. Quand je mourrai sachez déjà que mes livres comme moi rejoindront le néant.[5]

 

C’est ainsi la langue de Régis Jauffret – son usage de la langue comme l’idée qu’il s’en fait – que ce colloque se propose de sonder, dans une perspective stylistique, linguistique et sémiotique.

 

Les propositions de communication devront parvenir avant le 31 juin 2020 par courrier électronique aux adresses suivantes :

 

berengere.moricheau-airaud @ univ-pau.fr

 

Les textes issus des communications seront soumis à relecture en vue de la publication des actes du colloque.

 

  • Le colloque est ouvert au public.

 

Comité scientifique

Stéphane Bikialo

Catherine Rannoux

Christophe Reig

Isabelle Serça

Dominique Viart

 

Responsables

Cécile Narjoux

Bérengère Moricheau-Airaud

 

Calendrier

  • Colloque : 8 juin 2021
  • Publication des actes : fin 2021

 

[1] Voir Bruno Vercier, Dominique Viart, La Littérature française au présent, Bordas, 2008 [1re éd. 2005].

[2] Alexandre Gefen, « “Je est tout le monde et n’importe qui.” Les microfictions de Régis Jauffret », dans Revue critique de fixxion contemporaine, n° 1, p. 62-66 [en ligne]. Page consultée en mai 2020.URL : http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx01.06

[3] Bruno Vercier, Dominique Viart, op. cit., p. 429.

[4] Entretien avec Christophe Reig, Régis Jauffret. Éclats de la fiction, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2017, p. 147-148.

[5] Microfictions, Gallimard, 2007, p. 434.

 

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