Workshop « Les arts, la mémoire »
Le 16 déc. 2024
Dans la Théogonie d’Hésiode[1], Mnémosyne, fille de Gaïa et d’Ouranos, est une Titanide qui personnifie la Mnémé, la Mémoire. Le terme mνήμη (mnémé) dérive lui-même, par le biais du verbe dont il est issu, d’une racine signifiant « (faire) penser à quelqu’un ou à quelque chose ». Le sens du verbe a évolué pour signifier, « se souvenir, faire mention de », pour évoquer le rappel d’un souvenir. Or mνῆμα (mnḗma) désigne par ailleurs l’objet ou l’instrument du souvenir, ce dont on se souvient ; ou ce par quoi on se souvient ; ou encore le moyen d’évoquer un souvenir : le rapport entre le fait de se souvenir et le moyen d’y parvenir est d’emblée présent. Et selon Benveniste[2], « μνήμη (mnémé) peut désigner d’une part “le souvenir” en tant que réalité psychologique, distinct du μνῆμα (mnḗma), le souvenir objectif et matériel – ou même matérialisé –, et d’autre part “la mémoire” en tant que faculté[3]. » Ainsi apparaissent dès les origines de la pensée antique un lien intime entre la faculté de se souvenir, le souvenir lui-même, et les formes de matérialisation qui leur sont liées : un même mot saisit conjointement la compétence, l’effet et la cause. C’est justement cette articulation entre la forme à l’origine du souvenir, le souvenir lui-même et la faculté de la mémoire que cet atelier aura pour objet de sonder. Il se propose ainsi de poursuivre l’exploration, engagée notamment par Frances A. Yates[4] pour les trois grandes périodes historiques de la culture européenne et occidentale, l’Antiquité, le Moyen-Âge et la Renaissance, en s’intéressant à la conceptualisation de l’art de la mémoire, ainsi qu’à la découverte et à la transmission des pratiques qui permettent d’entraîner ou de perfectionner l’usage de la mémoire. Nous nous proposons aussi d’élargir la réflexion à tout procédé formel permettant la mémorisation, qu’elle ait été ou non la visée de la représentation.
Comment les propriétés formelles d’une représentation, quelle qu’elle soit, assurent-elles un souvenir qui transcende les frontières des époques, des langues, des cultures, et de leurs différences ? L’approche se veut diachronique, et conduira ses questionnements dans les arts et la culture de l’Antiquité, du Moyen Âge et des temps modernes et contemporains.
Dans le cadre de cet atelier, qui est la première étape d’un projet sur les formes de la mémoire dans la littérature, l’appel s’ouvre notamment mais non exclusivement aux propositions concernant les domaines des arts et/ou faisant le lien avec les sciences neurocognitives.
Il s’agira ainsi de s’emparer de ces questions, non limitatives :
Quelles sont les propriétés formelles d’une représentation qui reste en mémoire ? Ces propriétés formelles sont-elles spécifiques à un type de représentation ou est-il possible de dégager des propriétés communes à diverses variétés de représentation ?
Plus spécifiquement, autour des arts : qu’est-ce qui fait qu’une bande dessinée, une œuvre picturale, une œuvre musicale, une chanson, une photographie, un film ou une œuvre architecturale reste en mémoire ? Comment représente-t-on la mémoire dans les œuvres picturales, par exemple, et quelles sont les formes privilégiées pour la représentation d’un souvenir ? Comment peut-on représenter les errances de la mémoire, les tentatives pour rassembler de manière cohérente des souvenirs et sur quelles périodes de vie ? Et comment rendre compte de la résistance de la mémoire à « délivrer » des souvenirs, à préférer le « trou noir » particulièrement en cas de traumatisme ?
Les propriétés formelles d’une représentation qui reste en mémoire coïncident-elles nécessairement avec la mise en œuvre de procédés mnémotechniques ? Ou bien le caractère mémorisable d’une représentation peut-il déborder les intentions de son auteur ?
Est-il possible de dégager des invariants, pour un art, ou d’un art à l’autre, entre plusieurs exemples de représentation d’un souvenir ?
L’étude des représentations artistiques a-t-elle joué un rôle dans la découverte du fonctionnement de la mémoire ? Et réciproquement, comment les savoirs développés depuis Aristote sur cette question à la fois médicale, morale et philosophique se sont-ils exprimés dans les arts ?
La réflexion sera aussi ouverte aux questions concernant le lien entre les savoirs sur le fonctionnement de la mémoire et les pratiques didactiques et pédagogiques.
Cette journée prendra la forme d’un workshop et se déroulera à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour le lundi 16 décembre 2024.
Modalités de soumission
Les propositions de contribution, sous la forme d’une présentation de 3000 caractères maximum, ainsi qu’une brève notice biobibliographique, sont à envoyer avant le 25 octobre aux trois organisatrices :
Julie Gallego : julie.gallego @ univ-pau.fr
Bérengère Moricheau-Airaud : berengere.moricheau-airaud @ univ-pau.fr
Cécile Rochelois : cecile.rochelois @ univ-pau.fr
Bibliographie indicative
Assmann J., La Mémoire culturelle : écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, Paris, Aubier, [1re éd. 2002] 2010.
Berthoz A., Scheid J. (dir.), Les Arts de la mémoire et les Images mentales [En ligne], Paris, Collège de France, 2018. URL : https://books.openedition.org/cdf/5442?lang=fr.
Bolzoni L., La Chambre de la mémoire. Modèles littéraires et iconographiques à l’âge de l’imprimerie, Genève, Droz, 2005.
Boutonnet F., Mnémosyne – Une histoire des arts de la mémoire de l’Antiquité à la création multimédia contemporaine, Paris, Dis voir, 2013.
Carruthers M., Le Livre de la mémoire. Une étude de la mémoire dans la culture médiévale, trad. Diane Meur, Paris, Éditions Macula [édition originale : The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge University Press, 1990], 2002.
Eco U., « Architecture and Memory », Via, n° 8, 1986, p. 88-95.
Halbwachs M., La Mémoire collective, édition critique établie par G. Namer et préparée avec la collaboration de M. Jaisson, Paris, Albin Michel, [1re éd. 1950] 1997.
Nora P. (dir.), Les Lieux de mémoire, t. I-III, Paris, Gallimard, [1984-1992] 1997.
Ruskin J., « La lampe du souvenir », dans Ruskin J., Les Sept Lampes de l’architecture [1849], traduit par G. Elwall, Paris, Société d’édition artistique, 1900, p. 241-262.
Roy B., Zumthor P. (dir.), Jeux de mémoire. Aspects de la mnémotechnie médiévale, Montréal/Paris, Presses universitaires de Montréal/Vrin, 1985.
Yates F. A., L’Art de la mémoire, Paris, Gallimard [édition originale : The Art of Memory, Chicago, The University of Chicago Press et Londres, Routledge et Kegan Paul, 1966], 1975.
[1] Hésiode, Théogonie, v. 76-79 et 135-136.
[2] Benveniste É., « Renouvellement lexical et dérivation en grec ancien », Paris, Bulletin de la Société linguistique Paris, 1964, vol. 59, p. 24-39, p. 37.
[3] Chatzivasiliou D., « Mnémosyne, mnémé, memoria », dans Berthoz A., Scheid J. (dir.), Les Arts de la mémoire et les Images mentales [En ligne], Paris, Collège de France, 2018. URL : https://books.openedition.org/cdf/5495. Consulté en septembre 2024.
[4] L’Art de la mémoire, traduit de l’anglais par Daniel Arasse, Paris, Gallimard, NRF, « Bibliothèque des histoires », 1975 [1re éd. en anglais, 1966].