Colloque "L’autobiographie dans le paratexte : fiction et non fiction à l’épreuve du paratexte autobiographique "
Du 7 nov. au 8 nov. 2024
Organisateurs : Pr. Sophie Vallas (Aix-Marseille Université, LERMA), Pr. Arnaud Schmitt (UPPA, ALTER)
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Définition
Défini dans un premier temps par Gérard Genette dans Seuils (1987), et scindé par ce dernier en épitexte et péritexte, le paratexte désigne un espace éminemment liminal : c’est peut-être dans le péritexte, « autour du texte, dans l’espace du même volume, comme le titre ou la préface, et parfois inséré dans les interstices du texte, comme les titres de chapitres ou certaines notes » (11) que le paratexte est le plus figé, mais il peut néanmoins y évoluer au gré d’une réédition ou d’une volte-face générique ; dans l’épitexte, cette zone instable, publique, dans laquelle l’auteur n’a pas toujours droit de cité et dans laquelle sa propre parole lui échappe parfois, le paratexte se déploie dans « tous les messages qui se situent, au moins à l’origine, à l’extérieur du livre : généralement sur un support médiatique (interviews, entretiens), ou sous le couvert d’une communication privée (correspondances, journaux intimes, et autres) » (10-11). Le paratexte est donc, toujours selon Genette, une « frange » (8) qui, selon Philippe Gasparini, « exerce fréquemment une influence préalable sur l'horizon d'attente du lecteur ou une influence a posteriori sur sa compréhension de l’œuvre » (Est-il je ?, 62).
Jouer avec le paratexte
Nombreux sont les auteurs qui ont profité de cet espace singulier afin d’orienter la lecture de leur texte, ou simplement de jouer avec ou de se jouer de leurs lecteurs. Pour Philip Roth, le jeu paratextuel s’arrêtait au péritexte : dans l’espace épitextuel, l’auteur adoptait une posture beaucoup plus sage, officielle, se limitant souvent à des interviews accordées à des journaux sérieux, et renonçant à sa persona extratextuelle qu’il réservait à ses écrits. Aucun lecteur n’a pu oublier ses fameuses palinodies dans l’étrange autofiction qu’est Operation Shylock (1993), où Roth affiche sur la couverture la mention « A Confession » et la justifie dans la préface pour mieux se rétracter dans la note au lecteur finale dans laquelle il écrit : « This book is a work of fiction ». Autre exemple de jeu paratextuel : Bret Easton Ellis qui, en amont de la sortie de Lunar Park (2005), va jusqu’à élaborer un site internet afin de corroborer l’existence de personnages et événements finalement fictionnels. Que dire des fantaisies péritextuelles mises en place par Dave Eggers dans l’édition brochée (paperpack) de son texte autobiographique, intitulé A Heartbreaking Work of Staggering Genius (2000), fantaisies non présentes dans la première édition reliée (hardback) : l’édition brochée compte, en effet, de nombreuses modifications par rapport à la première et, surtout, un corps paratextuel bien plus substantiel puisqu’il suffit au lecteur de retourner le livre pour prolonger le texte par une partie sobrement intitulée « Mistakes We Knew We Were Making - Notes, Corrections, Clarifications, Apologies, Addenda », où Eggers cite notamment, à plusieurs reprises, des commentaires de lecteurs, intégrant ainsi dans son ouvrage ce qui habituellement en reste exclu.
Une aventure de la parution
Si l’autofiction est, selon Philippe Gasparini, « une aventure du langage », le paratexte, lui, est bien une aventure de la parution et de l’édition du livre et de ses multiples possibilités. Sa fonction première est souvent de préciser le genre du texte, précisions primordiales tout particulièrement dans le cas de textes autobiographiques ou semi-autobiographiques. Il y a par exemple, selon Dorrit Cohn, deux façons de distinguer une autobiographie d’une œuvre de fiction : « One is to give explicit notice, paratextually (by way of title, subtitle, or prefatory statement) or textually. The other is to provide the narrator’s name: its distinction from the author’s name conveys fictional intentionality, its identity with the author’s name autobiographical intentionality » (The Distinction of Fiction, 59). Mais le paratexte est aussi une façon pour un auteur d’introduire de l’autobiographie là où il n’y en a pas : en faisant référence au contexte de création, par exemple, dans une préface ou un entretien télévisé. Dans ce dernier cas, dans le cadre d’une « performance », l’auteur est censé incarner son texte, son langage corporel devenant un paratexte autobiographique à part entière. N’oublions pas que pour Genette, le paratexte est à la fois une « zone de transition » et de « transaction » (8). Si Genette lui-même a rechigné à explorer cette « zone de transaction », peu narratologique, très phénoménologique, la vie de l’auteur se raconte pourtant aussi dans cet espace paratextuel, comme l’ont souligné Georg Stanitzek (2005) ou encore Dorothee Birke et Birte Christ (2013, 67).
L’auteur en chair et en os
Dans « The Other Kind of Film Frames: A Research Report on Paratexts in Film » (2015), Cornelia Klecker décrit quant à elle le paratexte comme un lieu destiné à influencer la réception de son œuvre (« place to influence reception », 402). Mais n’est-il pas fascinant de regarder des auteurs à la télévision ou sur internet tenter d’exercer cette influence, par leurs mots, par leur façon d’être, et, souvent, échouer ou, en tout cas, peiner à le faire ? L’autobiographie dans le paratexte ne s’écrit-elle pas justement, parfois, à l’insu de l’auteur ? Entre les lignes de préfaces littéralement mal intentionnées, entre les mots de performances audio-visuelles mal maîtrisées ? L’autobiographie dans la maladresse paratextuelle, en d’autres termes. Au sujet du passage d’un auteur à la télévision, difficile de ne pas penser à ce qu’écrit Philippe Lejeune dans Moi aussi (1986), évoquant notamment « Apostrophes » : « C’est à la télévision que cette impression est la plus forte, on croit voir l’homme au naturel et on oublie, même si on le sait, que tout passage à la radio ou à la télévision implique la construction d’un rôle, qui est dicté par la place où l’on vous met […] Tout auteur qui vient à “Apostrophes” doit à la fois présenter son livre (par un résumé de contenu, une déclaration d’intention) et le représenter par sa personne. Un romancier sera donc immanquablement lancé dans deux directions » (91-93). Dans cette représentation de ce qu’Alain Brunn a pu appeler « l’ethos auctorial » (2012), vient s’insérer l’autobiographie.
L’autobiographie est-elle donc partout, et notamment partout dans le paratexte ? Ce sont ses multiples incarnations que nous nous proposons d’étudier dans cette Journée d’étude : « In our current culture autobiography appears all about us. It surfaces in books (whether formally autobiographies or not), on television talk shows, in interviews and therapeutic sessions, and in our daily conversation. In these and myriad other instances persons seize the chance to tell their personal histories and hence to present themselves as they would like to be or to be seen » (Rockwell Gray, « Autobiography Now», 31).
Les communications pourront porter sur des œuvres de fiction ou de non fiction, à partir de l’instant où le paratexte sur lequel portera l’analyse, lui, est autobiographique.
- Les propositions d’environ 400 mots accompagnées d’une notice biographique seront adressées à Sophie Vallas (sophie.vallas @ univ-amu.fr) et Arnaud Schmitt (arnaud.schmitt @ univ-pauf.fr) avant le 30 juin 2024, réponses avant le 15 juillet.
Autobiography within the Paratext:
Fiction and Nonfiction Challenged by Autobiographical Paratexts
7 et 8 November 2024 (University of Pau)
Organizers : Pr. Sophie Vallas (Aix-Marseille Université, LERMA),
Pr. Arnaud Schmitt (University of Pau, ALTER)
Definition
First defined by Gérard Genette in Seuils (1987), and divided by him into epitext and peritext, the paratext designates an eminently liminal space: it is perhaps in the peritext, “around the text, in the space of the same volume, like the title or preface, and sometimes inserted in the interstices of the text, like the chapter headings or certain notes” (Genette, 11, our translation) that the paratext is the most fixed, but it can nevertheless evolve, for example, in the case of a reprint or a generic switch ; in the epitext, that unstable, public zone outside the author’s purview, where the expression is often beyond authorial control, the paratext is deployed in “all messages that are, at least initially, outside the book: generally on a media support (interviews, talks…), or under the cover of private communication (correspondence, diaries…)” (10-11). According to Genette, therefore, the paratext is a “fringe” (“une frange”, 8) which, in the words of Philippe Gasparini, “frequently exerts a prior influence on the reader’s horizon of expectation, or a posteriori influence on their understanding of the work” (Est-il je?, 62).
Playing with the paratext
Numerous authors have taken advantage of this singular space to guide the reading of their texts, or simply for the pleasure of playing in the margins or with their readers. For Philip Roth, paratextual games were confined to the peritextual space: in the epitextual space, the author adopted a much wiser, official posture, granting interviews only to serious newspapers, and renouncing his extratextual persona, which he reserved for his writings. In his strange autofiction entitled Operation Shylock (1993), Roth indeed included a notorious palinody: while the book features the subtitle “A Confession” on its cover, a term the preface goes on to justify, Roth then retracts this in the final note to the reader, stating bluntly “This book is a work of fiction.” Bret Easton Ellis is another case in point: ahead of the release of Lunar Park (2005), he went so far as to set up a website to corroborate the existence of his ultimately fictional characters and events. In the paperback edition of his autobiographical text, A Heartbreaking Work of Staggering Genius (2000), Dave Eggers inserted peritextual fantasies which were not present in the first hardback edition. The paperback features numerous changes and, above all, a much more substantial body of paratext: the reader need only turn the book over to discover an extension of the text, a new section soberly entitled “Mistakes We Knew We Were Making - Notes, Corrections, Clarifications, Apologies, Addenda,” in which Eggers quotes readers' comments on several occasions, thus integrating into the work material that is usually excluded from it.
A Publishing Adventure
If autofiction is, according to Philippe Gasparini, a “linguistic adventure,” the paratext clearly is a publishing adventure involving the multiple possibilities of actual publication. The primary function of the paratext is to specify the genre of the text, an essential operation in the case of autobiographical or semi-autobiographical texts. Dorrit Cohn points out two different ways of distinguishing a memoir from a novel: “One is to give explicit notice, paratextually (by way of title, subtitle, or prefatory statement) or textually. The other is to provide the narrator’s name: its distinction from the author’s name conveys fictional intentionality, its identity with the author’s name autobiographical intentionality” (The Distinction of Fiction, 59). But the paratext also represents for the author an opportunity to introduce autobiographical elements in a text, or more precisely around a text in which there are none, for example by mentioning, in a preface or during an interview, the context of the work’s creation. A TV interview will be considered as a “performance,” requiring the author to embody their work, which will make body language an integral part of the paratext. We should bear in mind that for Genette, the paratext is both a “zone of transition” and of “transaction” (8). Despite the fact that Genette was reluctant to explore this “zone of transition,” eminently more phenomenological than narratological, narrative elements of the author’s life are to be found in this paratextual space as Georg Stanitzek (2005) or Dorothee Birke et Birte Christ (2013) have demonstrated.
The Flesh-and-blood Author
In “The Other Kind of Film Frames: A Research Report on Paratexts in Film” (2015), Cornelia Klecker describes the paratext as a “place to influence reception” (402). But how fascinating it is to watch authors on TV, on the Internet or their Instagram accounts trying to exert this influence through word and manner and, more often than not failing, or at least struggling, to do so. Autobiography is there, in the paratext, with or without the author’s knowledge, between the lines of a literally ill-intentioned preface, or between the words of an awkward audio-visual performance. The autobiography is the paratextual clumsiness. On the subject of authors promoting their books on TV, one is reminded of Philippe Lejeune’s famous analysis of the French literary show “Apostrophes” in Moi aussi (1986): “It is on TV that this impression is the strongest, we think we are watching the author behaving naturally and tend to forget that speaking on TV or on the radio implies a form of role-playing dictated by circumstance […]. Any author invited to ‘Apostrophes’ must simultaneously present their book (summarizing content, stating intentions) and physically represent it. This inevitably wrenches a novelist in two opposite directions” (91-93). It is in the representation, designated by Alain Brunn as “the authorial ethos,” that autobiography intrudes.
Thus, autobiography is everywhere, and, more particularly, everywhere in the paratext. In this symposium, our aim is to study its multiple manifestations: “In our current culture autobiography appears all about us. It surfaces in books (whether formally autobiographies or not), on television talk shows, in interviews and therapeutic sessions, and in our daily conversation. In these and myriad other instances persons seize the chance to tell their personal histories and hence to present themselves as they would like to be or to be seen” (Rockwell Gray, “Autobiography Now,” 31).
Proposals can focus indiscriminately on works of fiction or non-fiction as long as the paratext involved is autobiographical.
- Please submit an abstract of approx. 400 words and a short bionote to sophie.vallas @ univ-amu.fr and (arnaud.schmitt @ univ-pauf.fr) by 30 June, 2024 at the latest.