Colloque "La circulation transnationale et transmédiatique du polar en langues romanes "Campus de Pau
Du 29 sept. au 30 sept. 2022
Dans un monde rhizomatique et délocalisé, marqué par la fluidité des frontières et des identités, la circulation des biens symboliques, favorisée par l’apparition de nouveaux médias, s’est largement accélérée au cours des dernières décennies. Parmi les productions culturelles circulant à l’échelle planétaire, les fictions criminelles occupent une place privilégiée. Codifiées mais se prêtant à des déclinaisons et hybridations génériques multiples (thriller, polar SF, polar historique), ces fictions s’exportent et s’importent massivement sur des supports médiatiques de plus en plus nombreux et variés. Si cette circulation est évidente dans le cas du polar anglo-saxon pour lequel la langue anglaise constitue un vecteur de circulation puissant, c’est à la circulation transnationale et transmédiatique des fictions criminelles dans et entre les pays de langues romanes que nous souhaitons nous intéresser dans le cadre de ce colloque. En effet, si l’on part du postulat qu’un lien de parenté linguistique est assurément le terreau d’une communauté de culture, les contours de l’Europe latine – voire d’un monde latin – doivent pouvoir se dessiner via l’étude de ce corpus populaire et de sa circulation.
- Circulation transnationale
- C’est d’abord la question de la diffusion et de la circulation des fictions criminelles entre les pays de langue romane que l’on abordera. On se demandera quels sont les auteurs de polar traduits (intraduction/extraduction) dans les territoires concernés. Les fictions criminelles circulent-elles davantage entre les pays de langue romane que dans le reste de l’Europe et du monde et selon quels axes ? La circulation transnationale du polar de langue romane est-elle corrélée au capital symbolique et/ou économique accumulé par les auteurs dans le champ national ? Dans quelle mesure cette circulation transnationale contribue-t-elle à son tour à réorganiser la hiérarchie des textes dans les champs littéraires nationaux ?
- Cet aspect sera lui-même mis en relation avec la question de la circulation des écrivains entre les pays de langue romanes. Car si les œuvres circulent, c’est parfois aussi et avant tout parce que les auteurs se déplacent dans un monde largement déterritorialisé et diasporique. C’est le cas, pour ne citer que cet exemple, de nombreux écrivains latino-américains résidant en Europe et en Espagne en particulier. Grâce aux travaux de Michel Espagne consacrés aux transferts culturels, on se demandera dans quelle mesure ces déplacements favorisent l’émergence d’un polar transnational.
- On s’intéressera également à la configuration du marché éditorial dans les pays de langue romane comme vecteur de circulation des textes. Existe-t-il un marché du polar en langues romanes favorisé par l’existence de groupes éditoriaux dotés d’une stratégie de diffusion transnationale voire transcontinentale ? Quels sont les circuits de diffusion/circulation privilégiés par ces groupes ? À l’inverse, des petites maisons spécialisées dans le genre policier comme Agullo en France ou Alrevés en Espagne favorisent-t-elles l’émergence d’un polar en langue romane moins « commercial », doté d’une identité propre, et diffusé selon des circuits plus confidentiels ?
- Enfin, longtemps considéré comme un genre marginal, le polar fait actuellement l’objet d’une dynamique de valorisation. Partout en Europe – en particulier en Europe latine – et dans le monde, les festivals et salons littéraires consacrés au genre policier se multiplient. On s’intéressera donc à ce phénomène en tant que tel dans chaque pays concerné, mais également en tant que vecteur de circulation des textes à travers les territoires de langue romane. En effet, non seulement ces festivals réunissent le plus souvent des auteurs venus de toute l’Europe mais ils choisissent parfois de mettre un pays à l’honneur comme cela fut le cas du festival « Quais du Polar » avec la Roumanie en 2019. On se demandera dans quelle mesure ce genre d’initiative permet de de favoriser l’émergence d’un « polar latin » (vs polar nordique ou anglo-saxon).
- Circulation transmédiatique
Objet transmédiatique, le roman noir a la capacité de circuler d’un médium l’autre, et ce depuis la naissance du genre. Le développement du polar est historiquement lié à l’expansion de la culture des médias de masse : l’imprimé, puis le cinéma, le World Wide Web, les plateformes de séries télévisées. Il s’agira alors d’envisager le polar latin dans un contexte culturel et technologique global, à travers le prisme de sa transmédiagénie, que Philippe Marion définit comme la « capacité d’étoilement, de circulation, de propagation transmédiatique que possède un récit[1] », et dans une approche intermédiale. On abordera les déclinaisons transmédiatiques du polar, en étudiant d’une part ses transpositions et ses réécritures, ses adaptations visuelles, au sens le plus large : film, série télévisée, bande dessinée, jeu vidéo, websérie, et d’autre part le rôle des nouveaux médias, qui favorisent la circulation du polar dans les pays de langue romane.
- On pourra s’intéresser aux adaptations intermédiales du genre noir, sous formes d’adaptations filmiques ou de séries télévisées. En Espagne, par exemple, des best-sellers tels la Trilogía del Baztán de Dolores Redondo (2015-2017) ou El Silencio de la ciudad blanca de Eva García Sáenz de Urturi (2016) ont été adaptés au cinéma.
- On considérera également les déclinaisons du genre policier à travers les médias de la culture populaire : la bande dessinée – les albums de Jacques Tardi, qui transposent les romans de Léo Malet ou de Jean-Patrick Manchette, ou les adaptations graphiques récentes des romans de Michel Bussi, Mourir sur Seine (2018-2019) et Nymphéas noirs (2019) – et le jeu vidéo, qui transpose les formes et les figures du récit policier, tel Milanoir (2018), jeu d’action italien qui porte l’empreinte de l’esthétique du film noir des années 1970. On s’intéressera aux récentes exportations du noir dans les webséries, petites productions qui inscrivent les codes globalisés de la culture policière dans un ancrage géographique local, telle Highland City (2020), réalisée par Steve Tamargo et Margot Chetrit et filmée dans les rues de la ville de Pau, ou Ascension (2021) produite par les rappeurs Eden et Gogzer, tournée principalement en Île-de-France et diffusée sur la plateforme YouTube. Les enjeux des processus adaptatifs intermédiaux et leur rôle dans la circulation du polar pourront être observés.
- L’intermédialité se révèle également dans la présence de « références intermédiales[2] », pour reprendre l’étude d’Irina Rajewsky : les références d’une œuvre à une autre (d’un texte à un film par exemple), et les références plus générales d’une œuvre à un autre système médial (d’un texte au cinéma de genre). Les références aux représentations visuelles du film noir ou de la série télévisée sont fréquentes dans le roman contemporain et participent de la circulation transmédiatique des codes du genre noir.
- Les activités multiples des auteurs de fictions criminelles s’inscrivent dans cette transmédiatisation : certains romanciers sont aussi réalisateurs de films ou de séries policières – derrière le pseudonyme de Carmen Mola se cachent trois scénaristes de thrillers de la télévision espagnole –, voire participent à l’adaptation de leurs œuvres – l’auteur italien à succès Donato Carrisi est passé derrière la caméra pour adapter son roman La Ragazza nella nebbia en 2016. Le discours médiatique met l’accent sur la circulation du polar, qui participe de sa légitimation.
- Il sera intéressant, enfin, d’envisager le rôle des nouveaux médias dans la diffusion et la réception du polar, avec la création de sites web, plateformes ou blogs entièrement consacrés aux œuvres policières, accompagnés de réseaux sociaux dédiés. Des sites tels que Serie negra ou Biblioteca negra (Espagne), Bepolar ou Polar Zone livre (France) mettent en avant l’actualité du polar par le biais d’un dispositif transmédiatique : les biographies ou les portraits des auteurs sont présentés au travers de vidéos, d’interviews ou de podcasts. On abordera également l’apport des sites dédiés aux festival du genre noir (Semana negra de Gijón, Congreso Negro de l’Université de Salamanque, Quai du Polar à Lyon).
Organisation :
- Emilie Guyard (ALTER - Université de Pau et des pays de l’Adour)
- Laurence Riu-Comut (ALTER - Université de Pau et des pays de l’Adour)
- Myriam Roche (LLSETI - Université Savoie Mont Blanc)
Publication conjointe des actes prévue courant 2023.
Les participants devront s’acquitter de 42 euros de frais d’inscription.
[1] Philippe Marion, « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication, n° 7, 1997, p. 87-88.
[2] Irina Rajewsky, « Le terme d’intermédialité en ébullition : 25 ans de débat », in Caroline Fischer, Anne Debrosse (dir.), Intermédialités, coll. « Poétiques comparatistes », Nîmes, SFLGC/Lucie éditions, 2015, p. 35.
Télécharger l'appel à communication