Séminaire inaugural : Image et Vérité - Fondements conceptuels
Argumentaire
Concept essentiel et malcommode à la fois, la Vérité est souvent confondue avec la réalité ou avec l'objectivité dans le domaine des champs visuels, alors que la Vérité "en images" relève le plus souvent d'une prise de position du sujet et repose sur des dispositifs scéniques et discursifs savamment mis en place. Il n'est pas certain qu'une image "dise" jamais la vérité et placer une recherche collective sous la double égide de l'"image" et de la "Vérité" pourrait sembler, sinon saugrenue, du moins téméraire.
Pourtant, cette problématique ancienne, envisagée au fil des siècles selon des perspectives rhétoriques, esthétiques, sémiotiques ou pragmatiques, se retrouve au coeur de nos sociétés contemporaines, des sociétés de l'image traversées par les codes et les règles du visuel et dans lesquelles les images s'imposent tout autant dans leur capacité à révéler des vérités (l'imagerie scientifique, documentaire, historique) qu'à construire des mensonges (à travers les images digitales ou les montages numériques...). Cette double fonction de l'image -véritable ou mensongère- est particulièrement palpable dans le domaine hispanique actuel, où la Loi de la Mémoire historique d'octobre 2007 a entraîné la volonté de rétablir une Vérité par l'exhumation de documents visuels "authentiques" ou par la re-construction iconique de faits passés dont il n'existe pas de traces visuelles. Mais il va sans dire que ce dévoilement historique du passé, qui vise toujours à restituer l'absence -ce qui n'existe plus ou qui n'a jamais existé-, s'accompagne également d'une conscience autorréflexive plus ou moins aiguë, la capacité de l'image à "mentir vrai" structurant de nombreuses créations artistiques, à commencer par celles du photographe catalan Joan Fontcuberta, tout entières dominées par l'esthétique de la manipulation visuelle.
Ce sont ces "Vérités de l'Image hispanique Contemporaine" que le RIVIC, réseau interdisciplinaire de chercheurs issus de sept universités françaises et espagnoles, se propose d'étudier au cours d'un séminaire biannuel (2013-2015), dont les séances se tiendront tour à tour à Pau, Saragosse, Toulouse et Bilbao.
En dessinant les limites d’un corpus iconique (images fixes et mobiles, images documentaires et de fiction), en sollicitant l’expertise de chercheurs traditionnellement séparés par des cloisonnements disciplinaires, le RIVIC entend mettre en place des outils de réflexion transdisciplinaires, créer un dialogue fécond entre les dimensions philosophiques, esthétiques, sémiotiques, pragmatiques de l’image, rapportée à sa capacité de véridiction, et analyser l’utilisation qui en est faite dans le monde hispanique.
La première journée du séminaire-RIVIC, soutenue par le laboratoire LLC-Arc Atlantique (EA 1925) et par le département de recherche LLA (lettres-langues-arts), aura lieu le lundi 18 novembre 2013 à Pau (UFR LLSHS, salle du conseil) et explorera les fondements conceptuels des "Vérités de l'image". Elle sera suivie de la projection du film Bienvenido Mr Marshall de Luis Berlanga (version originale) à l'amphithéâtre de la présidence, à 18h.
La deuxième journée du séminaire-RIVIC (Pau, lundi 2 décembre 2013) considèrera quant à elle la relation entre images d'archives, images documentaires et Vérité historique.
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10h30 : Ouverture de la journée
- Jean-Yves Casanova (Directeur du CRPHL et de l’École Doctorale Sciences Sociales et Humanités - ED 481)
- Nadia Mékouar-Hertzberg (Directrice du Département de Recherche Lettres, Langues, Arts)
- Jean-Yves Puyo (Chargé de mission transfrontalier)
- Marie-Pierre Ramouche (Université de Perpignan Via-Domitia, organisatrice de la journée)
Prérequis philosophiques et sémiotiques
- Moderatrice : Isabelle Touton (Université Montaigne- Bordeaux)
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11h : Sebastian Hüsch (Université de Pau et des Pays de l’Adour)
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Martin Heidegger: Die Welt als Bild. La pensée de la modernité comme pensée en image.
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Résumé : Dans sa conférence « Die Zeit des Weltbildes » de 1938, Martin Heidegger développe l’idée que l’essence de la métaphysique de l’époque moderne serait à comprendre à travers le devenir image du monde. Heidegger y décrit l’émergence d’une « société de l’image » mais qui trouverait ses origines non pas dans le développement d’une technologie audio-visuelle, mais dans ce que Heidegger identifie comme le « Grundgeschehen » métaphysique (« événement fondamental ») caractérisant notre époque. Sur la base des réflexions heideggériennes, les possibilités technologiques n’apparaissent plus comme la cause de l’évolution d’une société de l’image mais plutôt comme la manifestation d’une conception métaphysique particulière. En outre, l’importance de l’image pour la société moderne influe, selon Heidegger, également sur ce que nous considérons comme « vérité ». Pour Heidegger, il y a un rapport réciproque entre l’importance de l’image dans la métaphysique de la Modernité d’un côté et la conception de ce que celle-ci considère comme « vérité » de l’autre. La communication illustrera les grandes lignes de l’interprétation heideggérienne du monde comme image pour proposer des pistes de réflexion pour la question de l’importance de l’image pour l’époque moderne ainsi que pour le rapport entre image et vérité qui s’y exprime.
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11h30 : Sandra Santana (Université de Zaragoza)
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Dessiner la réalité : vraisemblance et objectivité dans les images artistiques.
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Résumé : Avant que l’artiste ne soit confronté au problème de la représentation de la réalité de façon plastique, il convient de déterminer en quoi consiste celle-ci selon des critères d’objectivité qui évoluent au cours du temps (ce que Lorrain Daston et Peter Galisto ont étudié avec les images scientifiques). Notre communication tentera de montrer la façon dont les images d’un style déterminé ou d’un courant pictural (tel que le réalisme, l’impressionnisme ou les arts des avant-gardes cubiste ou futuriste) cachent des conceptions de la réalité basée sur des préoccupations de nature scientifique et philosophique (Ernst Mach, Henri Bergson ou la géométrie non-euclidienne).
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14h30 : Ana García Varas (Université de Zaragoza).
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De la sémantique iconique à la pragmatique des images : représentation, guerre et pouvoir.
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Résumé : Nous proposons, dans notre intervention, d’étudier le pouvoir des images à travers l’analyse des représentations guerrières. Pour ce faire, nous examinerons dans un premier temps les visions de l’image données par deux perspectives fondamentales de l’interprétation des représentations guerrières au siècle passé, et qui défendent des conceptions opposées de l’icône : d’une part, la critique de l’image selon la pensée post-moderne, telle que la révèle l’étude des attentats du 11 septembre 2011 ; d’autre part, la réception positive des archives photographiques et cinématographiques de la guerre depuis le début du XXe siècle. En partant d’une critique de ces deux conceptions de l’image qui repose sur la distinction entre sens et référence iconiques, nous explorerons la façon dont une théorie des faits de l’image répond de façon plus adéquate aux mécanismes sémantiques des images et permet d’y saisir des formes de réflexion spécifiquement iconiques.
Une image à double tranchant, entre mensonge et vérité
- Modérateur : Jesús Alonso (Université Montaigne Bordeaux)
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15h : Kepa Sojo Gil (Université du País Vasco).
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Le double langage des images. L'ironie dans Bienvenido Mr Marshall (1952) de Berlanga
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Résumé : Bienvenido Mister Marshall (1952) est l’un des films les plus importants du cinéma espagnol. Dans l’histoire du cinéma du franquisme, il y a un avant et un après marqué par ce film de Berlanga qui reçut un accueil exceptionnel de la part du public et de la critique, laissa une trace importante au Festival de Cannes et marqua les Conversations de Salamanque en 1955. Nous essayerons dans notre intervention d’analyser la dichotomie entre mensonge et vérité, présente tout au long du film, basée sur l’utilisation parodique de divers genres et la manipulation idéologique.
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15h30 : Euriell Gobbé-Mévellec (Université de Toulouse Le Mirail).
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Du visible au visuel: le travail de l'image dans l'album pour enfant en Espagne.
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Face aux nouvelles images digitales interactives, l’album illustré pour enfants développe un nouveau type d’illustration que l’on pourrait qualifier de « résistant ». Seuls des efforts mentaux et un engagement dans la lecture visant à déchiffrer l’énigme du texte et de l’image permettent au lecteur d’accéder à la compréhension et à la vérité du récit. La littérature pour enfants qui adopte une logique visuelle de plus en plus marquée pour s’adapter de plus en plus aux capacités de lecture des jeunes écarte cependant la facilité didactique qui consisterait à rendre visible, ou palpable ce que l’on veut raconter. Toujours plus visuel et toujours moins visible, l’album illustré explore le potentiel esthétique et émotionnel d’une représentation invisible ou rendu invisible à émouvoir ou faire réfléchir le jeune lecteur.
- 18h00 Amphithéâtre de la Présidence
- Projection du film Bienvenido Mr Marshall (1952) de Berlanga (en v.o. non-soustitrée).